Un projet collectif, c’est un peu comme du jardinage. Faut être patient, traverser les tempêtes du nord-ouest, accueillir les jours de grand beau. Faut écouter et faire attention aux détails, faut s’en occuper.
Au gré des saisons, la jeune pousse s’accroche et s’enracine. Aujourd’hui, on en est là, aux premières feuilles. Déjà, une belle brochette de personnages s’entrecroisent dans ce laboratoire vivant qui se nourrit l’âme de rencontres, se remplit l’estomac des fruits de la terre, s’alimente à même le paysage.
Au printemps, la sève monte, la fourmilière s’active. C’est un peu désordonné, avec les projets qui se croisent dans tous les sens: constructions, jardins, animaux, ah !, y’a d’la bouette ! Le tout dans un mélange d’exaltation et de fébrilité, parce qu’ici le printemps passe vite et l’été est court…alors on se réchauffe avant la course. On prépare la salle des semis, les serres, les plans de jardins. Dans les ateliers, le café brûle, l’huile coule, les algues sèchent, un spectacle se prépare. Des tas apparaissent – tas de bois de chauffage, de pile de croûte, de compost… On s’organise, on répare, on invente et on goûte aux premières pousses du printemps. On commence à vivre dehors, enfin.
La Saint-Jean célébrée, c’est le coup d’envoi pour les woofeurs, amis et visiteurs qui abondent, ajoutant leurs couleurs au lieu, que ça soit en musique ou en jus de bras. Midi et soir, la faune se réunit dehors pour partager des repas surf and turf 5 étoiles faits à même l’abondance des jardins, de la mer et de la forêt. Quand il pleut, la grange reçoit nos tablées, se transforme en piste de danse et pourquoi pas ! D’autres occasions de célébrer s’insèrent entre les activités régulières des membres: les très spontanées soirées pizza-volleyball et le Festival DeHors !, qui accueille des installations éphémères et des performances de tous genres sur le plateau du hameau. L’été, c’est aussi les paniers de légumes à remplir, le bois de la maison à scier, les marchés, les points de chute, les cueillettes et les baignades dans le fleuve. Des gros chantiers aussi, vu que la tribu grandit et qu’il faut des maisons… Une petite saison qu’on remplit à ras-bord.
Viennent ensuite les récoltes qui sonnent la fin de l’été. Les visites s’espacent un peu, le rythme cardiaque du groupe diminue. On se fait écureuil le temps de préparer les réserves : faire la boucherie, remplir le congélateur, faire les conserves, remplir les garde-mangers. Et dans les chantiers, vite !, faut fermer avant la première neige. Avec la Coop du Cap, la Fête des récoltes s’organise. À la chapelle du village, on clôture l’automne sur une note festive. On célèbre l’abondance avec les artisans du coin ; les produits du terroir rayonnent sous le chapiteau. Les vents et les grandes marées arrivent : on s’attache à nos maisons pour pas s’envoler.
L’hiver, eh bien, c’est chacun à son rythme. Certains poursuivent leurs activités de transformation alimentaire, d’autres en profitent pour voyager, pour militer, pour chauffer le poêle. Le décor enchanteur de l’hiver gaspésien en invitation, le monde se met sur son 36 : habit de ski doo et moon boots. Dans l’arrière-pays, les traces de ski trahissent nos envies de poudreuse. Dans le parking, les monticules de neige témoignent de l’intensité des tempêtes. Pendant 5 mois, la vie ici se repose, ou presque… rêvassant à l’été suivant, imaginant, pour l’un, des cochons, pour l’autre, une écurie, un bâtiment collectif, un atelier, une maison. On réunionne aussi. Toute l’année en fait, chaque mardi matin, pour parler de pois-mange-tout mais aussi d’usufruit, de charte de construction, de vision à long terme, de financement…mais l’hiver on se rattrape un peu, question d’avancer en coulisse les fondements du projet.
On en est donc là, aux premières feuilles. Je me plais à les imaginer ambitieuses et créatives, riches d’amitié et de confiance. Je les vois s’orienter toujours mieux vers le soleil, s’enraciner plus profond, se renforcer la tige avec le vent gaspésien, un peu rude, un vent qui forge le caractère. Parce que ça paraît ben beau de même, mais c’est pas toujours évident, de partager tous ensemble notre plate-bande… Mais les saisons se suivent, virent tout à l’envers: les fleurs sont pour bientôt si ce n’est pas déjà fait.